L’habillement outdoor entre dans une nouvelle ère, où la performance doit désormais s’aligner avec la durabilité. Les vestes imper-respirantes — longtemps synonymes de Gore-Tex — sont aujourd’hui réévaluées à la lumière des interdictions liées aux PFAS (les « produits chimiques éternels »), de la pollution aux microplastiques et des avancées en matière d’innovation responsable.
Mais commençons par les bases : que sont les PFAS et pourquoi sont-ils si importants ?
Que sont les PFAS ?
Les PFAS, ou substances per- et polyfluoroalkylées, désignent une grande famille de composés chimiques synthétiques utilisés depuis les années 1940 dans une multitude de produits, allant des ustensiles de cuisine antiadhésifs et des emballages alimentaires aux moquettes résistantes aux taches et aux vêtements imperméables. Leur succès repose sur une caractéristique clé : une résistance exceptionnelle à la chaleur, à l’eau, à l’huile et à la dégradation chimique.
Le problème, cependant, est que ces substances sont également connues sous le nom de « produits chimiques éternels », car elles ne se dégradent pas naturellement, ni dans l’environnement, ni dans le corps humain. Elles s’accumulent au fil du temps dans les sols, les cours d’eau, la faune, et même chez les personnes, et leur présence a été associée à de nombreux risques graves pour la santé, notamment des perturbations hormonales, une suppression du système immunitaire, ainsi que certains cancers.
Il existe des milliers de types de PFAS, mais tous possèdent une caractéristique commune : la liaison carbone-fluor, l’un des liens les plus solides en chimie, qui rend ces composés à la fois très efficaces pour repousser l’eau et l’huile, mais aussi extrêmement persistants dans l’environnement.
Dans l’industrie de l’équipement outdoor, les PFAS apparaissent principalement dans deux domaines. On les retrouve d’abord dans les membranes ePTFE, qui servent de barrières imperméables et respirantes dans de nombreuses vestes et chaussures, comme celles utilisant la technologie Gore-Tex. Ils sont également présents dans les traitements déperlants durables (DWR), des finitions de surface appliquées sur les tissus pour que l’eau perle et glisse sans pénétrer.
La question reste donc entière : est-il possible de rester au sec en extérieur sans laisser derrière soi une trace de produits chimiques toxiques ?
Membranes ePTFE
Qu’est-ce que le ePTFE ?
Le polytétrafluoroéthylène expansé (ePTFE) est une forme étirée du PTFE (le même polymère que le Téflon utilisé dans les poêles antiadhésives), qui crée une membrane microporeuse. Le ePTFE a été découvert en 1969 par Bob Gore, lorsqu’il a étiré rapidement du PTFE, produisant ainsi un film poreux et résistant.
Chaque centimètre carré d’une membrane ePTFE contient environ 9 milliards de micro-pores, soit des pores environ 20 000 fois plus petits qu’une goutte d’eau, mais environ 700 fois plus grands qu’une molécule de vapeur d’eau. Cette différence de taille entre les pores et les molécules explique l’ingéniosité du Gore-Tex : la pluie liquide ne peut pas pénétrer, mais la vapeur de transpiration peut s’échapper, permettant au tissu d’être à la fois imperméable et respirant.
La membrane elle-même est extrêmement fine (environ 0,01 mm) et se trouve généralement sandwichée entre une doublure de protection et un textile extérieur pour garantir sa durabilité.
Comment cela fonctionne dans l’équipement outdoor :
Dans une veste Gore-Tex classique à 3 couches, la membrane ePTFE est laminée entre une face extérieure (souvent du nylon) et une doublure intérieure. Les pores hydrophobes du PTFE repoussent l’eau tout en laissant passer la vapeur d’humidité, ce qui permet de rester au sec, à la fois contre la pluie extérieure et contre la transpiration intérieure. Ce principe est utilisé dans la plupart des produits imperméables et respirants.
Lien avec les PFAS :
Le PTFE est un polymère fluoré, ce qui signifie qu’il appartient à la grande famille des PFAS. Le PTFE est donc, par définition, un matériau à base de PFAS. On parle de « produit chimique éternel » parce qu’il est extrêmement stable et ne se biodégrade pas.
Historiquement, la production de Gore-Tex utilisait du PFOA, un auxiliaire de traitement aujourd’hui abandonné car associé à des risques pour la santé, notamment des cancers, des atteintes hépatiques, des troubles thyroïdiens, des problèmes de fertilité et des effets sur le système immunitaire.
Pratiquement toutes les grandes marques d’habillement outdoor ont commercialisé des produits intégrant des membranes ePTFE sous licence Gore-Tex ou technologies similaires. Ces membranes sont longtemps restées la référence en matière de performance par tous les temps, mais leur nature fluorée signifie qu’elles persistent indéfiniment dans l’environnement ou dans les décharges.

Le chimiste et entrepreneur Robert W. Gore étirant du polytétrafluoroéthylène (PTFE). L’image est une capture d’écran de la vidéo Scientists You Must Know, dans laquelle il évoque ses travaux.
Photo via WikiCommons.
Le ePTFE libère-t-il des microplastiques ? Comme le ePTFE est un type de plastique, toute usure physique de la membrane peut provoquer son abrasion et la libération de minuscules particules de PTFE, qui sont en réalité des microplastiques. Toutefois, cette membrane est généralement cachée et protégée à l’intérieur des vestes, ce qui limite la libération de particules lors d’un usage quotidien. Malgré cela, le lavage des vêtements imperméables peut entraîner la libération de microfibres issues des différentes couches textiles, avec des quantités estimées entre 1 200 et 9 000 fibres par lavage pour les équipements utilisant du PTFE. Certaines de ces fibres peuvent provenir de la membrane fluoropolymère elle-même ou du tissu auquel elle est laminée. Une fois libérées, les particules de PTFE persistent pendant des siècles. Une membrane en PTFE enfouie dans une décharge pourrait mettre plus de 4 000 ans à se décomposer, finissant par se fragmenter en microplastiques. En résumé, le ePTFE ne se biodégrade pas et toute particule qui se détache contribue durablement à la pollution par les microplastiques.
Les microplastiques issus des textiles sont aujourd’hui présents partout dans l’environnement, que ce soit au sommet de l’Everest ou dans les fosses océaniques les plus profondes. Ces fibres sont désormais si répandues qu’elles font partie de la poussière que nous respirons et des particules ingérées par la faune marine. Avec le temps, les polymères persistants comme le PTFE, le polyester ou le nylon se fragmentent en particules de plus en plus petites, sans jamais réellement disparaître. Des études ont démontré que les microplastiques de PTFE résistent à la dégradation par les UV ainsi qu’aux processus biologiques pendant des siècles, ce qui signifie que toute particule de ePTFE relâchée dans la nature y restera quasiment indéfiniment.
Les recherches récentes sur les risques pour la santé humaine sont particulièrement préoccupantes. Des scientifiques ont identifié des fibres et fragments plastiques microscopiques dans le tissu pulmonaire humain, et même dans les tissus placentaires. En 2022, une étude a révélé la présence de microplastiques dans le sang de 80 % des personnes testées, montrant ainsi que ces particules, une fois inhalées ou ingérées, peuvent circuler dans le corps et potentiellement se loger dans les organes. Les conséquences sur la santé ne sont pas encore totalement comprises, mais il est clair que nous vivons une forme d’expérimentation involontaire à grande échelle. Les études en laboratoire soulèvent néanmoins de sérieuses inquiétudes : les microplastiques ont montré qu’ils peuvent endommager les cellules humaines in vitro et transporter à leur surface des additifs toxiques ou des polluants. Ils peuvent également provoquer des réactions inflammatoires, l’organisme tentant de se défendre contre des particules qu’il est incapable de décomposer. Certaines preuves suggèrent également des liens possibles avec le stress oxydatif ou des perturbations hormonales. Une chose est sûre : nous ne voulons pas de ces particules dans nos poumons, notre sang ou nos organes, d’autant plus qu’une fois présentes, elles risquent de s’y accumuler tout au long de la vie.

Sacramento, vue du Capitole de l’État de Californie depuis la 10e rue
Interdiction des PFAS en Californie (AB 1817)
La législation commence désormais à rattraper la science, et l’Assembly Bill 1817 (AB 1817) de Californie en est un exemple clé. Cette loi, signée en 2022, interdit la fabrication et la vente de nouveaux articles textiles contenant des PFAS réglementés en Californie à partir du 1er janvier 2025. Le terme « articles textiles » est défini de manière large : il inclut les vêtements, l’équipement outdoor, les chaussures, les accessoires, les sacs à main, la literie, les serviettes, et plus encore — en résumé, tous les biens de consommation fabriqués à partir de tissu. Pour l’industrie outdoor, cela représente un véritable tournant, car la loi cible à la fois les traitements DWR à base de PFAS et les membranes à base de PFAS, comme le ePTFE.
L’AB 1817 oblige essentiellement l’industrie de l’habillement outdoor à éliminer les produits chimiques PFAS selon un calendrier serré. Cela signifie qu’il faut innover rapidement ou substituer : les vestes qui utilisaient jusqu’à présent des membranes ePTFE et des traitements DWR C6 devront être redessinées avec des membranes sans PFAS (ou des revêtements comme le PU) et des traitements DWR sans fluor.

Innovations sans PFAS
Face à ces pressions réglementaires et environnementales, l’industrie outdoor innove rapidement pour développer des membranes et des revêtements sans PFAS qui ne compromettent pas la performance. La membrane Gore-Tex ePE (polyéthylène expansé) est sans doute l’innovation la plus significative de ces dernières années. En 2022, W.L. Gore & Associates (créateur de Gore-Tex) a introduit un nouveau matériau de membrane appelé ePE, conçu pour offrir des performances sans utiliser de PTFE. Le polyéthylène (PE) est un polymère simple et sans fluor. En étirant le PE à l’aide d’un processus similaire à celui utilisé pour le ePTFE, Gore a créé un film microporeux de PE, essentiellement composé de milliards de minuscules trous qui laissent passer la vapeur tout en bloquant l’eau, exactement comme le ePTFE. Pour garantir l’imperméabilité, la structure de l’ePE est renforcée par un fin revêtement en polyuréthane (PU), car le PE seul est poreux. Cette construction hybride donne une membrane qui est imperméable, coupe-vent et respirante, avec environ la moitié de l’épaisseur de la membrane Gore-Tex originale. La production de l’ePE est un procédé sans fluor, ce qui réduit l’impact chimique par rapport à la fabrication de l’ePTFE. Il est important de noter que l’ePE est complètement sans PFAS — il ne contient aucun fluor.
Même avant l’arrivée de l’ePE, de nombreuses marques utilisaient des membranes ou revêtements en polyuréthane (PU) comme alternatives sans PFAS au PTFE. Le PU est un polymère polyvalent capable de former des films imperméables. Les revêtements traditionnels en PU (présents dans de nombreuses vestes de pluie économiques) sont non poreux, ce qui empêche l’eau de pénétrer tout en bloquant l’air. Ils reposent donc sur une diffusion lente de l’humidité (un peu comme un manteau en caoutchouc, mais plus respirant). Les nouvelles membranes PU peuvent être fabriquées de manière microporeuse ou conçues en structures multicouches pour améliorer la respirabilité. Ces membranes ne contiennent pas de PFAS dans la membrane elle-même. Cependant, les membranes PU ont historiquement souffert de problèmes de durabilité (hydrolyse au fil du temps) et n’étaient pas toujours aussi respirantes lors d’efforts intenses, car beaucoup sont monolithiques lorsqu’elles sont sèches et ne transmettent l’humidité que sous l’effet de gradients d’humidité.
Une autre catégorie prometteuse est celle des membranes nanofibres électrofilées, où des fibres ultrafines sont filées dans un tapis aléatoire, créant ainsi un maillage microporeux. Cela peut être réalisé avec du PU ou d’autres polymères, et permet une perméabilité à l’air (ce qui signifie que non seulement la vapeur, mais aussi un peu d’air peuvent passer, ce qui améliore la respirabilité). Ces approches sont sans PFAS (sans PTFE). Les utilisateurs rapportent souvent que ces vestes sont moins moites, grâce à un léger échange d’air. Le défi réside dans le maintien de l’imperméabilité à long terme et dans la capacité à égaler la durabilité extrême du ePTFE, mais ces technologies s’améliorent progressivement et sont déjà utilisées dans des vestes de type alpin.
Concevoir pour la performance et la planète
L’évolution de l’équipement imperméable et respirant est un parfait exemple de la recherche d’équilibre entre exigences techniques extrêmes et responsabilité environnementale. Les membranes en ePTFE, comme le Gore-Tex, ont révolutionné les vêtements outdoor grâce à leur structure microporeuse ingénieuse — mais avec un coût environnemental longtemps resté invisible.
Aujourd’hui, sous l’impulsion de lois comme l’AB 1817 en Californie et d’une prise de conscience croissante des consommateurs, l’industrie outdoor est en train de repenser entièrement sa palette de matériaux. L’émergence de membranes sans PFAS (ePE de Gore, PU électrofilé, Sympatex, entre autres) et les progrès des traitements déperlants sans fluor montrent qu’innovation technique et écologie peuvent avancer ensemble.
Avec cette nouvelle génération de vestes, de chaussures et d’équipements, il ne s’agit plus seulement de se protéger des éléments — mais aussi de participer à une transition plus large pour préserver l’environnement d’où ces éléments viennent.
À terme, la véritable durabilité d’un traitement déperlant ne se mesurera pas uniquement à la longévité de la veste, mais à l’empreinte minimale qu’elle laissera derrière elle. Cette sortie progressive des PFAS et l’adoption de matériaux plus responsables ne sont pas qu’une case à cocher sur le plan réglementaire : c’est une manière de réimaginer le design outdoor avec une conscience.